Le mycélium : un matériau vivant qui pourrait révolutionner l'architecture
- Qu'est-ce que le mycélium et comment l'utilise-t-on dans la construction ?
- Apprendre de l'intérieur du champignon : orientation, pas composition
- Construire avec des champignons : le mycélium dans l'architecture contemporaine
- Hy-Fi : une tour de briques vivantes
- Biohm : matériaux de construction cultivés avec des résidus et du mycélium
- Samorost : la première maison en mycélium
- Défis techniques et solutions émergentes
- Mobilier et design intérieur avec le mycélium
- Concevoir en cultivant : objets qui poussent dans des moules
- Lampes, chaises et textures qui évoquent le vivant
- Le mycélium comme cuir fongique
- Qu'est-ce qui rend le mycélium si intéressant pour les designers ?
- Villes cultivées : le potentiel urbain du mycélium
- Infrastructure urbaine biodégradable
- Obstacles réels et possibilités futures
- Vers une construction régénératrice
Imaginez-vous vivre dans une maison cultivée, faite de champignons, qui respire, se répare toute seule et, à la fin de sa vie utile, se réintègre silencieusement dans la forêt ou le sol urbain d'où elle est venue ? Loin d'être de la science-fiction, la révolution des matériaux vivants a déjà commencé, et le mycélium —la structure souterraine des champignons— se présente comme l'un des candidats les plus prometteurs pour construire l'avenir.
Qu'est-ce que le mycélium et comment l'utilise-t-on dans la construction ?
Le mycélium est le réseau souterrain de filaments qui constitue la base du règne fongique. Chacun de ces filaments s'appelle hyphe : structures microscopiques, allongées et ramifiées qui croissent en formant des trames complexes. En s'entremêlant, les hyphes créent un tissu continu capable d'absorber des nutriments, de décomposer la matière organique et d'établir des connexions symbiotiques avec les plantes, les bactéries et d'autres organismes du sol.
Souvent invisible, ce réseau agit comme le système digestif et nerveux des champignons, et remplit un rôle écologique essentiel dans les écosystèmes. Mais au-delà de ses fonctions naturelles, le mycélium présente des propriétés physiques qui en font un matériau de construction durable idéal. Sa capacité à s'étendre, se consolider et adhérer à différents substrats en fait une base structurelle étonnamment polyvalente.

Lorsqu'il est cultivé dans des conditions contrôlées —en utilisant des résidus agricoles comme nourriture—, le mycélium colonise son environnement et l'agglutine comme s'il s'agissait d'un ciment biologique. En quelques jours, il forme des structures solides, légères, résistantes, ignifuges, avec des propriétés d'isolation thermique et acoustique. Et peut-être le plus important : il est biodégradable et compostable, complètement intégré dans le cycle naturel de la vie.
Face à des matériaux comme le béton, le plastique ou le plâtre, le mycélium ne génère pas d'émissions nettes de CO₂ pendant sa culture dans sa fabrication ; au contraire, il l'absorbe pendant sa croissance. C'est une alternative à faible impact, évolutive et alignée avec l'économie circulaire.
Apprendre de l'intérieur du champignon : orientation, pas composition
Un groupe d'ingénieurs des universités de Binghamton et UC Merced a démontré que la clé pour créer des matériaux plus résistants et légers ne réside pas dans leur composition, mais dans leur architecture interne. En étudiant comment s'organisent les hyphes —les filaments qui composent le mycélium— dans différentes espèces de champignons, ils ont découvert que l'orientation de ces fibres influence radicalement les propriétés mécaniques du matériau.
Concrètement, ils ont analysé deux types de champignons comestibles : le champignon blanc (Agaricus bisporus), avec des hyphes distribués au hasard, et le maitake (Grifola frondosa), dont les hyphes sont alignés dans une seule direction. À travers la microscopie électronique, les tests de compression et les simulations en 3D, ils ont vérifié qu'une simple réorganisation du tissu doublait la rigidité du matériau, sans ajouter de nouveaux ingrédients ni modifier la chimie.
Cette découverte, publiée dans Advanced Engineering Materials, suggère que copier les motifs cachés dans les champignons pourrait inspirer de nouveaux matériaux bio-inspirés pour l'architecture, l'emballage, la médecine ou l'aviation. Il ne s'agit pas d'inventer plus, mais d'observer mieux : la nature a déjà conçu ce dont nous avons besoin.
Construire avec des champignons : le mycélium dans l'architecture contemporaine
Bien que cela semble de la science-fiction, la vérité est que le mycélium a déjà été utilisé pour ériger des murs, construire des structures expérimentales et concevoir des espaces habitables. Pour le moment, ses applications se sont surtout données dans des contextes artistiques, éphémères ou pilotes. Mais ces premières constructions fongiques ne révèlent pas seulement le potentiel des matériaux vivants, mais ouvrent aussi la porte à une nouvelle façon de comprendre l'architecture : biologique, régénératrice et complètement biodégradable.
Hy-Fi : une tour de briques vivantes
L'un des exemples les plus emblématiques est la Hy-Fi Tower, construite en 2014 par le studio The Living (dirigé par David Benjamin) dans la cour du MoMA PS1, en plein New York. La structure, de près de 13 mètres de hauteur, était formée par des briques fabriquées avec du mycélium et des résidus agricoles, développées avec Ecovative. Ces "briques vivantes" étaient légères, résistantes et ne nécessitaient pas de cuisson ni de procédés industriels polluants. Après l'exposition, la tour a été démontée et compostée, démontrant qu'il est possible de créer des structures architecturales totalement temporaires et sans déchets.

Biohm : matériaux de construction cultivés avec des résidus et du mycélium
Au Royaume-Uni, la startup Biohm a poussé cette idée encore plus loin. Ils ont développé des panneaux de mycélium avec des propriétés isolantes et retardatrices de feu, cultivés dans des moules modulaires à partir de résidus organiques. Leur proposition va au-delà de la durabilité : ils cherchent à créer des matériaux fonctionnels, sûrs et adaptables à la réglementation de la construction moderne.
L'un de leurs développements les plus innovants est l'"Orb", un biocomposé qui peut remplacer les plastiques et les bois synthétiques dans les revêtements intérieurs, le mobilier ou les isolations. Étant élaborés sans toxiques, ces matériaux ne réduisent pas seulement les émissions de CO₂, mais améliorent aussi la qualité de l'air intérieur en étant libres de composés volatils.
Samorost : la première maison en mycélium
En République tchèque, l'architecte Tomasz Kloza, en collaboration avec la société de construction Buřinka, a créé Samorost, ce qui est considéré comme la première maison au monde construite partiellement avec du mycélium. Ce n'est pas une expérience isolée ni une installation éphémère : c'est un logement habitable et fonctionnel, qui démontre que le mycélium peut s'intégrer dans l'architecture résidentielle réelle.
La maison Samorost est formée par deux volumes sphériques unis par un couloir central, inspirés par la forme de deux champignons émergeant du sol —un hommage visuel à l'origine du matériau. Sa structure combine une base en bois (qui agit comme squelette) avec des couches de mycélium cultivé qui recouvrent les murs et une partie du mobilier.
Parmi ses propriétés les plus remarquables se trouvent sa légèreté, sa capacité isolante et son efficacité thermique. Le mycélium offre une excellente acoustique, idéale pour les espaces insonorisés ou pour ceux qui aiment écouter de la musique sans déranger. Les plafonds peuvent s'ouvrir pour laisser entrer la lumière naturelle, et une grande partie du mobilier intérieur —comme les sièges ou les panneaux décoratifs— est aussi élaborée avec ce biomatériau.

Défis techniques et solutions émergentes
Malgré son énorme potentiel, l'utilisation du mycélium en architecture fait encore face à des barrières qui rendent difficile son adoption à grande échelle :
- Humidité et dégradation : étant un matériau organique, le mycélium est sensible à l'humidité prolongée s'il n'est pas traité adéquatement. Pour l'éviter, des vernis naturels, des laques écologiques et des techniques de séchage spécifiques sont en développement.
- Réglementations et homologation : les matériaux en mycélium ne sont pas encore largement certifiés pour leur usage structurel. Il est nécessaire de les ajuster aux standards techniques de sécurité, de charge et de comportement face au feu.
- Durabilité : bien qu'ils puissent se maintenir stables pendant des années s'ils sont correctement protégés, ces matériaux ne sont pas conçus pour durer indéfiniment. Leur grande vertu —la biodégradabilité— devient un défi quand on cherche des usages permanents.
Cependant, la recherche avance rapidement. Chaque année surgissent de nouveaux traitements, des hybrides bio-synthétiques et des études qui confirment que le mycélium peut s'incorporer avec succès dans la palette de matériaux du XXIe siècle.
Mobilier et design intérieur avec le mycélium
Si construire des bâtiments entiers avec du mycélium présente encore des défis techniques, le design intérieur et le mobilier sont devenus le terrain où ce biomatériau déploie tout son potentiel créatif et fonctionnel. Chaises, lampes, tabourets, panneaux décoratifs ou séparateurs d'espaces : de plus en plus de designers explorent le mycélium comme une alternative écologique, polyvalente et profondément esthétique.
Plus qu'un simple substitut du plastique ou du bois, le mycélium propose une nouvelle façon de concevoir les objets quotidiens : comme des éléments vivants, éphémères et pleinement intégrés dans le cycle naturel.
Concevoir en cultivant : objets qui poussent dans des moules
Contrairement aux procédés industriels traditionnels —qui impliquent découpe, assemblage et génération de déchets—, les objets en mycélium se cultivent directement dans des moules personnalisés. Le champignon pousse en quelques jours, nourri par des résidus agricoles, jusqu'à coloniser complètement la matrice.
Le résultat sont des formes solides, légères et biodégradables. Cette logique de design change radicalement la relation entre le créateur et le matériau : le designer ne fabrique plus, mais facilite les conditions pour que l'objet pousse.
Lampes, chaises et textures qui évoquent le vivant
L'un des exemples les plus reconnus est celui de la designer Danielle Trofe, dont les lampes en mycélium ont été exposées internationalement pour leur délicat équilibre entre esthétique minimaliste et matière organique.
Dans la même ligne, le designer Jonas Edvard a créé des chaises, des écrans acoustiques et des objets décoratifs utilisant le mycélium et des résidus végétaux comme les algues ou le chanvre. Le résultat sont des formes douces, des couleurs naturelles et des textures irrégulières qui évoquent la forêt, le sol humide, ce qui pousse sans artifice.
Le mycélium comme cuir fongique
En plus de son usage structurel, le mycélium peut se transformer en biotextiles similaires au cuir, comme Reishi™ (de MycoWorks) ou Mylo™ (de Bolt Threads). Bien que ces matériaux soient connus principalement pour leur usage dans la mode durable —avec des marques comme Stella McCartney ou Hermès—, ils sont aussi incorporés dans le mobilier de design haut de gamme.
Doux, flexibles et personnalisables en texture et couleur, ces "cuirs de mycélium" sont idéaux pour les tapisseries, revêtements ou pièces de luxe sans origine animale ni impact toxique.
Qu'est-ce qui rend le mycélium si intéressant pour les designers ?
- Légèreté : étonnamment léger, facilite le transport et la manipulation.
- Résistance : avec le traitement adéquat, peut durer des années sans se dégrader.
- Esthétique naturelle : veines organiques, textures uniques, chaque pièce est irremplaçable.
- Durabilité totale : se cultive à partir de résidus et se biodégrade sans laisser de trace.
- Polyvalence de forme : s'adapte à presque n'importe quel moule, idéal pour le design expérimental.

Bien qu'aujourd'hui le mobilier en mycélium soit surtout artisanal ou expérimental, les technologies de culture avancent rapidement. Avec la disponibilité croissante de kits, de mycélium inoculé et de nouvelles techniques de séchage, il n'est pas difficile d'imaginer un futur où cultiver ses propres lampes ou tabourets à la maison soit aussi commun que faire du pain au levain ou du kombucha.
Villes cultivées : le potentiel urbain du mycélium
Et si non seulement les meubles ou petites structures étaient faits de mycélium, mais aussi les quartiers, refuges urbains ou installations temporaires ? Bien qu'aujourd'hui cela sonne utopique, de plus en plus de designers, urbanistes et bioarchitectes explorent comment les matériaux vivants comme le mycélium pourraient s'intégrer à l'échelle urbaine, donnant forme à des environnements biodégradables, adaptatifs et connectés au cycle naturel.
Plus qu'une mode écologique, cette tendance pointe vers un changement profond de paradigme : construire non comme un acte d'imposition sur la nature, mais comme une collaboration avec elle.
Infrastructure urbaine biodégradable
Bien qu'encore en phase de prototype, des applications de mycélium dans l'infrastructure urbaine sont déjà explorées, comme :
- Panneaux acoustiques biodégradables pour les gares, écoles ou salles de concert.
- Revêtements de façades vivants, qui agissent comme isolants thermiques et acoustiques.
- Séparateurs d'espaces publics avec des fonctions bioactives, comme le filtrage de l'air ou la régulation de l'humidité.
La possibilité que les murs et structures urbaines ne soient pas seulement faits de mycélium, mais qu'ils remplissent des fonctions écologiques actives —comme purifier l'air ou absorber le CO₂— est de plus en plus proche. Certains matériaux sont déjà évalués pour leur potentiel bioactif dans les intérieurs urbains fermés.
Obstacles réels et possibilités futures
Bien que la vision soit puissante, porter le mycélium à l'échelle urbaine implique de surmonter plusieurs défis techniques et réglementaires :
- Production industrielle limitée : les volumes ne permettent pas encore de grandes infrastructures.
- Résistance et durabilité : tous les usages urbains ne tolèrent pas bien le passage du temps ou l'exposition climatique.
- Réglementations obsolètes : les lois de construction ne contemplent pas les matériaux vivants ou biodégradables.
Cependant, les avancées sont constantes. Avec le développement d'hybrides bio-synthétiques, de traitements protecteurs et de nouvelles demandes en durabilité urbaine, il est plausible que dans quelques décennies les villes incluent des zones cultivées au lieu de construites.
Vers une construction régénératrice
Le mycélium se joint à une vague de biomatériaux émergents —comme le hempcrete (à base de chanvre), les briques d'algues ou le biociment— qui défient la logique extractive de la construction industrielle. Tous partagent la même vision : créer sans détruire.
Mais que faudrait-il pour adopter le mycélium à grande échelle ?
- Réglementations claires qui reconnaissent ses propriétés structurelles et autorisent son usage dans la construction.
- Systèmes modulaires et préfabriqués qui permettent de l'intégrer facilement dans les procédés constructifs actuels.
- Recherche et investissement dans des traitements naturels qui prolongent sa durée de vie sans compromettre sa capacité à se biodégrader.
- Un changement culturel : comprendre que construire avec la vie n'est pas seulement possible, mais profondément nécessaire.
Le mycélium est plus qu'un matériau : c'est une philosophie d'habiter. Il nous rappelle que le vivant peut être beau, utile et résistant. Que construire avec intelligence écologique n'implique pas de renoncer au confort, mais de choisir une autre façon de nous rapporter au monde.
Sur une planète blessée par le béton et le carbone, peut-être que l'architecture du futur ne se basera pas sur ce que nous extrayons, mais sur ce que nous cultivons. Et peut-être que la réponse se trouve, littéralement, sous nos pieds.
Références
- https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC8934219
- https://www.researchgate.net/publication/339572951_Fabrication_and_Characterization_of_Bioblocks_from_Agricultural_Waste_Using_Fungal_Mycelium_for_Renewable_and_Sustainable_Applications
- https://www.archdaily.cl/cl/949011/edificios-de-hongos-las-posibilidades-del-micelio-en-la-arquitectura
- https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9496270
- https://youtu.be/GCE6uuHegF8?si=6N_mbxcP-Aa4GAbS
- https://www.agenciasinc.es/Reportajes/Los-hogares-del-futuro-pueden-estar-construidos-a-base-de-hongos
- https://www.researchgate.net/publication/373678652_Mycelium-Based_Thermal_Insulation_for_Domestic_Cooling_Footprint_Reduction_A_Review
- https://www.muyinteresante.com/ciencia/materiales-resistentes-hongos-maitake-ingenieria.html