Champignons radiotrophes : des êtres vivants qui se nourrissent de radiation
- Que sont les champignons radiotrophes ?
- Le rôle de la mélanine chez les champignons
- Comment agit la mélanine chez les champignons ?
- Découverte des champignons radiotrophes
- Expansion vers l'espace
- Applications actuelles et potentiel futur des champignons radiotrophes
- Limitations, risques et défis
- Références
Dans les recoins les plus inhospitaliers de notre planète, où les radiations ionisantes transforment l'environnement en un désert mortel pour la plupart des formes de vie connues, il existe un groupe extraordinaire d'organismes qui non seulement parviennent à survivre, mais prospèrent de manière surprenante.
Les champignons radiotrophes représentent l'une des découvertes les plus fascinantes de la biologie moderne, défiant nos conceptions traditionnelles sur les limites de la vie et ouvrant de nouvelles perspectives sur la survie dans des conditions extrêmes.
Plongez dans le monde des champignons radiotrophes, une frontière prometteuse entre biologie, astrobiologie et technologie.

Que sont les champignons radiotrophes ?
Les champignons radiotrophes constituent un groupe singulier de micro-organismes qui possèdent l'extraordinaire capacité d'utiliser les radiations ionisantes comme source d'énergie pour leur croissance et leur métabolisme. Cette caractéristique les distingue fondamentalement des autres organismes, car ils peuvent exploiter des formes d'énergie qui s'avèrent mortelles pour la grande majorité des êtres vivants.
Pour mieux comprendre ce phénomène, il est important d'établir une analogie claire : tout comme les plantes utilisent l'énergie solaire par la photosynthèse pour produire des sucres et croître, ces champignons ont développé des mécanismes qui leur permettent de capturer et convertir l'énergie des radiations gamma, bêta et autres formes de radiations ionisantes en énergie utilisable pour leurs processus vitaux.
Cependant, il est crucial de préciser que ces organismes ne "consomment" ou ne "mangent" pas les radiations au sens littéral, mais qu'ils ont évolué vers des systèmes biochimiques sophistiqués pour transformer cette énergie en formes exploitables.
Résistance vs. Radiotrophisme
Il est fondamental de distinguer entre les champignons véritablement radiotrophes et ceux qui montrent simplement une résistance aux radiations. Alors que de nombreux micro-organismes peuvent développer une tolérance aux environnements radioactifs grâce à des mécanismes de réparation de l'ADN et d'autres systèmes de protection (comme les bactéries Deinococcus radiodurans ou Thermococcus gammatolerans), les champignons radiotrophes vont un pas plus loin : ils ne résistent pas seulement aux radiations, mais les utilisent activement comme source d'énergie.
Cette distinction est cruciale pour comprendre la singularité de ces organismes et leur potentiel d'application dans diverses domaines.
Le rôle de la mélanine chez les champignons
Le mécanisme exact par lequel ces champignons accomplissent cet exploit n'est pas encore complètement compris, mais la recherche scientifique a identifié un composant clé dans ce processus : la mélanine. Ce pigment sombre, connu principalement pour son rôle dans la pigmentation de la peau humaine, semble jouer un rôle fondamental dans la capacité radiotrophe de ces organismes.
L'hypothèse la plus acceptée suggère que la mélanine agit comme une sorte d'"antenne moléculaire" qui peut capturer les radiations ionisantes et faciliter leur conversion en énergie chimique utilisable. L'évidence expérimentale est convaincante : alors que les champignons mélanisés expérimentent cette croissance accélérée sous radiation, les souches mutantes albinos sans mélanine ne montrent pas ce phénomène, confirmant le rôle central de ce pigment dans le processus radiotrophe.

Comment agit la mélanine chez les champignons ?
Du point de vue biochimique, le processus de radiosynthèse chez les champignons mélanisés implique une interaction complexe entre la mélanine et les électrons libérés par les radiations ionisantes. La mélanine, un polymère hétérogène avec des structures aromatiques conjuguées, agit comme un semi-conducteur biologique, capable de faciliter le transport d'électrons à travers son réseau moléculaire.
Lorsque les champignons sont exposés aux radiations ionisantes (principalement gamma), cette énergie excite les molécules de mélanine, altérant leurs propriétés électroniques. Les études spectroscopiques ont montré qu'après exposition aux radiations, la mélanine augmente sa capacité à réduire des agents comme le ferricyanure, ce qui indique une augmentation de l'activité redox du polymère. Cet effet suggère que la mélanine fonctionne comme un système de capture et transfert d'électrons, similaire au rôle que jouent les centres de chlorophylle dans la photosynthèse végétale.
De plus, on a observé que les changements structurels induits par les radiations augmentent la densité d'états électroniques accessibles dans la mélanine, facilitant les processus de donation et acceptation d'électrons dans les voies métaboliques associées à la croissance cellulaire. Ce phénomène pourrait être associé à la génération d'ATP via des voies fermentatives ou respiratoires non conventionnelles, bien que les mécanismes métaboliques exacts n'aient pas encore été complètement caractérisés.
Une autre hypothèse complémentaire suggère que la mélanine agit comme un antioxydant dynamique, neutralisant les espèces réactives de l'oxygène (ROS) générées par les radiations. Cette action protectrice non seulement prévient les dommages cellulaires, mais pourrait faire partie du système général de captation énergétique, grâce à des réactions couplées à la génération de potentiels électrochimiques exploitables par la cellule.
Découverte des champignons radiotrophes

La première évidence de champignons radiotrophes est apparue dans la zone d'exclusion de Tchernobyl, dans l'aire de 30 kilomètres de rayon autour de la centrale nucléaire qui a subi l'accident. En 1991, à peine cinq ans après l'accident, on a observé une moisissure noire croissant à l'intérieur du réacteur numéro 4, dans la zone de contamination maximale. Cette découverte initiale a révélé un phénomène surprenant : non seulement il y avait de la vie dans l'endroit le plus radioactif de la planète, mais elle semblait prospérer.
L'année 2007 a marqué un point d'inflexion dans la compréhension de ces organismes. Une équipe dirigée par Ekaterina Dadachova au Albert Einstein College of Medicine a publié une étude qui a radicalement changé la perspective scientifique. Ils ont démontré expérimentalement que les champignons mélanisés comme Cladosporium sphaerospermum, Cryptococcus neoformans et Wangiella dermatitidis non seulement augmentaient leur biomasse sous radiation intense, mais assimilaient aussi plus de carbone.
Expansion vers l'espace
L'intérêt scientifique s'est étendu au domaine spatial quand en 2016, une équipe du Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA, dirigée by Kasthuri Venkateswaran, a emmené huit espèces de champignons collectées à Tchernobyl vers la Station Spatiale Internationale pour étudier leur réponse à la microgravité et aux radiations spatiales.
Bien qu'une liste complète des huit espèces n'ait pas été publiée, on sait qu'elles ont été sélectionnées pour leur capacité à survivre dans des environnements hautement radioactifs et pour leur potentiel à produire des composés avec des applications pharmaceutiques et agricoles. Les chercheurs cherchaient à déterminer si les conditions extrêmes de l'espace pourraient induire ces champignons à produire de nouveaux métabolites secondaires avec des propriétés bioactives.
On sait que les champignons peuvent générer des composés utiles, comme des antibiotiques et immunosuppresseurs, en réponse à des environnements stressants. Par conséquent, l'espace offre un environnement unique pour explorer la production de nouveaux composés qui pourraient avoir des applications en médecine et agriculture.
Applications actuelles et potentiel futur des champignons radiotrophes
Protection radiologique dans l'espace
Les champignons radiotrophes, comme Cladosporium sphaerospermum, ont démontré leur capacité à atténuer les radiations. Les expériences sur la Station Spatiale Internationale ont révélé qu'une couche de seulement 2 mm peut réduire jusqu'à 2% les radiations entrantes. On estime qu'un revêtement de 21 cm offrirait une protection efficace contre les radiations martiennes, ce qui pourrait révolutionner la sécurité dans les missions spatiales de longue durée.

De plus, on recherche leur culture directe sur les combinaisons, habitats ou structures spatiales, créant des boucliers biologiques auto-réplicants et durables.
Nouveaux matériaux radiorésistants
La mélanine extraite de ces champignons est incorporée dans des matériaux conventionnels pour améliorer leur résistance aux radiations. L'Université Johns Hopkins a testé des plastiques avec mélanine sur l'ISS, avec des applications potentielles : depuis des textiles spatiaux capables de filtrer les radiations solaires et cosmiques, jusqu'aux matériaux de construction avec des propriétés protectrices améliorées.
Elle pourrait aussi être utilisée dans l'électronique, offrant un blindage efficace pour les composants sensibles dans des contextes de haute radiation.
Bioremédiation de zones contaminées
Grâce à leur capacité à utiliser les radiations comme source d'énergie, ces champignons pourraient jouer un rôle clé dans la réhabilitation environnementale. Ils ont le potentiel d'accélérer la décontamination des sols et eaux, tout en concentrant les éléments radioactifs dans leur biomasse, ce qui facilite leur collecte et manipulation sécurisée.
De plus, ils pourraient fonctionner comme des barrières vivantes, limitant la propagation de contaminants dans les environnements affectés par les radiations.
Biotechnologie et alimentation spatiale
Par leur remarquable résistance aux radiations et leur capacité à générer de la biomasse dans des conditions extrêmes, ces champignons pourraient jouer un rôle fondamental dans les systèmes de support vital pour les missions spatiales.
Actuellement on recherche leur application dans des bioréacteurs qui non seulement produisent des aliments, mais offrent aussi une protection radiologique.
Applications médicales
La mélanine fongique est aussi étudiée dans le domaine de la médecine nucléaire pour son potentiel comme outil thérapeutique et protecteur. On explore son usage comme base pour des radioprotecteurs topiques destinés aux personnes exposées aux radiations dans des environnements de travail, ainsi que pour des radiosensibilisateurs qui pourraient potentialiser l'efficacité de certains traitements oncologiques.

Limitations, risques et défis
Malgré leur potentiel, l'usage et l'étude des champignons radiotrophes affrontent d'importantes limitations. En premier lieu, les mécanismes biochimiques sous-jacents ne sont pas encore complètement compris, ce qui complique leur exploitation biotechnologique. De plus, la majorité des études ont été réalisées dans des conditions très spécifiques (par exemple, environnements de haute radiation comme Tchernobyl ou stations spatiales), ce qui pose des défis pour répliquer et faire évoluer ces systèmes dans d'autres contextes.
Il existe aussi des risques éthiques et de biosécurité, spécialement si on planifie d'utiliser ces organismes dans des environnements sensibles comme l'espace ou les installations nucléaires. Une évaluation rigoureuse est requise pour éviter des impacts écologiques non désirés ou la libération d'organismes génétiquement modifiés.
D'autre part, bien qu'il ait été démontré que certains champignons mélanisés survivent et croissent dans des conditions extrêmes, il n'est pas clair si cette adaptation implique une véritable conversion énergétique utile pour des applications pratiques. L'efficacité du processus, sa scalabilité et sa compatibilité avec d'autres systèmes technologiques restent de grandes interrogations.
En définitive, l'étude des champignons radiotrophes est encore dans une phase exploratoire. Bien que prometteur, leur exploitation à des fins énergétiques, protectrices ou constructives requiert plus de recherche fondamentale et appliquée, ainsi qu'une évaluation critique des risques et limitations impliqués.
Références
- https://en.wikipedia.org/wiki/Radiotrophic_fungus
- https://www.sciencenews.org/article/dark-power-pigment-seems-put-radiation-good-use
- https://phys.org/news/2020-07-chernobyl-fungi-shield-astronauts.html
- https://mann.usc.edu/news/rocket-carries-chernobyl-fungi-to-the-international-space-station
- https://issnationallab.org/upward/pushing-research-to-new-heights-innovative-research-at-the-iss-rd-conference
- https://futuroprossimo.it/2020/07/la-muffa-del-reattore-di-chernobyl-testata-come-scudo-sulla-iss/
- https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0000457